La rue est aussi à nous
Tours redonne leur place aux femmes qui font l'histoire
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Alma SCHINDLER, musicienne empêchée par son mari
Alma SCHINDLER est née à Vienne en 1879 et morte à New-York en 1964. Femme de culture elle fréquente tous les artistes de cette époque de bouillonnement autrichien (le peintre Gustav Klimt, le compositeur Zemlinsky, etc.), lit et discute avec les figures littéraires et philosophiques de son temps.
Intellectuelle brillante, elle analyse les théories de Schopenhauer sur les femmes, les thèses de Nietzsche, les écrits de Maeterlinck, Birnbaum, et bien d'autres encore.
Passionnée de musique, elle prend des cours de piano et d'orgues dès l'âge de 10 ans. Pianiste émérite c'est aussi une musicienne et compositrice de qualité. Talentueuse, elle rêve d'une carrière brillante, artistique et littéraire, dont elle se sait capable, encouragée en ce sens par les nombreux artistes qu'elle fréquente.
Elle rencontre Gustav Malher lors de ses 19 ans, il a vingt ans de plus qu'elle lorsqu'ils se marient, il est directeur de l'opéra de Vienne, elle pense qu'il lui ouvrira les portes de la légitimité artistique, il va en réalité lui en barrer complétement l'accès.
Dans une longue lettre de 1901, il lui expose sa conception de la femme et du mariage. Il lui pose comme ultimatum préalable au leur de renoncer à toute carrière autonome. Dans cette lettre, il remet en cause sa capacité à avoir des idées différentes des siennes ("Alma, mon enfant, nous serons unis dans notre amour et dans notre cœur… mais dans nos idées ? Mon Alma, quelles sont donc tes idées ?").
Surtout, il lui interdit de développer sa propre musique : "Je me trouve dans l’étrange situation d’opposer à la tienne ma musique que tu ne connais pas et ne comprends pas encore [...]. T’imagines-tu à quel point une rivalité si étrange deviendra nécessairement ridicule, et sera plus tard dégradante pour nous deux ? Que se passera-t-il lorsque tu seras « en forme » [pour composer] et qu’il faudra t’occuper de la maison ou de quelque chose dont j’ai besoin [...] ? Que tu doives être « celle dont j’ai besoin », si nous devons être heureux, mon épouse et non pas ma collègue, cela, c’est sûr !"
Gustav termine sa lettre sur ce passage glaçant : "Tu n’as désormais qu’une seule profession – me rendre heureux ! [...] les rôles dans ce spectacle qui pourrait devenir une comédie aussi bien qu’une tragédie [...] doivent être bien distribués. Et celui du « compositeur », de celui qui « travaille », m’incombe. Le tien est celui du compagnon aimant, du camarade compréhensif."
Elle composera et jouera tout de même, traversant de nombreux épisodes de dépression, de rage et de colère, elle aura plusieurs relations extraconjugales. Seize des lieder d'Alma Schindler nous sont parvenus. Cinq de ceux attribués à Gustav Malher auraient en réalité été composés par elle.
En raison de la censure patriarcale dont elle est la victime, nous n'aurons jamais accès à la beauté des notes qu'elle a imaginé, jamais accès à la plénitude de son talent, jamais accès à une génie désormais disparue et dont l'œuvre n'aura malheureusement jamais existé.
Alma Schindler n'est pas un cas unique, loin de là. Dans la bourgeoisie des XVIIIème et XIXème siècles, les femmes recevaient toutes une éducation musicale extrêmement poussée. Mais il leur était interdit d'accéder à la composition, et encore moins à la direction, d'œuvres musicales.
Quand bien même elles bravaient ces interdits, la conservation des partitions masculines étant déjà partielle, celle des partitions féminines était rarissime. Ainsi, Maria Anna Mozart, la sœur de Wolfang Amadeus, était au moins aussi talentueuse que son frère, qui lui a écrit de longues lettres qui attestent de son admiration pour elle. Aucune des œuvres de cette artiste admirée par Mozart lui même ne nous sera parvenu.
Alma Schindler incarne un des drames des inégalités femmes-hommes : la perte d'un potentiel énorme, celui de la moitié de l'humanité. Qui sait combien de compositrices de talent comme elle, combien d'artistes, de scientifiques, d'ingénieures, de philosophes, de leaders politiques n'ont jamais eu la possibilité d'offrir au monde la plénitude de leur talent en raison des préjugés de nos sociétés ? Le remède contre le cancer, un nouveau genre artistique, une énergie propre, des systèmes politiques nouveaux, reposent peut-être dans les idées bafouées de milliers de femmes ignorées de leurs contemporains et de l'histoire.
Espérons que nous saurons collectivement ne pas continuer de le faire à l'avenir.
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